Article paru dans le numéro 59 |
Gadgets ou
utilitaires ?
Gadget :
Mot de l'anglais des États-Unis, reprenant
peut-être le nom d'un fabricant français. Objet
qui plaît par son caractère
nouveau, ingénieux ou amusant, mais qui n'a guère
d'utilité réelle. (Dictionnaire de
l ‘Académie Française) Selon
certains, le mot
« gadget »proviendrait de
l’entreprise française Gaget-Gauthier
qui a participé à la construction
de la statue
de la Liberté
et distribué des
miniatures de la statue portant le nom de l’entreprise,
miniatures destinées à
promouvoir et financer le projet. Quelle que
soit l’origine du mot, il véhicule toujours
l’idée d’un objet à
l’utilité
douteuse. Les
couteaux présentés ici appartiennent-ils
à la catégorie des gadgets ou ont-ils
une véritable utilité ? Il est vrai
qu’entre « utile » et
« futile » la
différence est mince. Il
s’est
trouvé, en tout cas, parmi les couteliers, des
émules de Monsieur Gaget qui ont
su faire preuve d’imagination et ont
intégré au couteau toute une panoplie
d’objets « utiles » ou
« futiles », de quoi faire
pâlir
d’envie tous les Victorinox de la création. De la mesure
en toute chose. Le premier
de ces couteaux[1]
(photo n° 1) comporte des côtes en tôle
emboutie. La côte gauche abrite un
demi-mètre
pliant en laiton (5 brins de
10 cm). Ce n’est pas le tout de prendre des mesures, encore
faut-il s’en
souvenir. Aussi a-t-on logé, à
côté du demi-mètre, un tout petit
crayon
emmanché dans un tube lui aussi en laiton. Pour
être complet, il manque
cependant une petite réserve de papier. L’autre
côte du manche étant elle aussi vide, on y a
placé un niveau à bulle
(horizontalité non garantie). Et, pour
faire bonne mesure, le bout du ressort déborde au cul du
couteau pour faire
office de tournevis. La lame
s’orne d’une magnifique étoile filante,
marque utilisée notamment par Marius
Couzon.
Le couteau1
de la photo numéro
2 est un peu plus énigmatique. Si on reconnaît
facilement les 2 lames, l’incontournable mollette de vitrier
et le niveau à
bulle inséré dans la côte en
tôle emboutie, l’autre
« outil » est
plus mystérieux. Il pourrait faire penser à un
compas de mesure tel celui qu’on
trouve sur la table à cartes du marin mais ses
extrémités ne sont pas pointues.
Elles sont au contraire aplaties comme celles d’une pince
à épiler.
Alors ? Compas d’épaisseur ?
Compas de report de dimension ? Si
la « Liberté éclairant le
monde » chère à Bartholdi et
Monsieur Gaget
pouvait jeter quelque lumière[2]
sur la destination précise
de cet instrument peut-être cesserions nous de le
considérer comme un gadget.
Le couteau1
de la photo numéro 3 pose moins de questions quant
à
l’utilisation de
l’instrument. Il s’agit d’un
compas à pointes sèches destiné au
tracé ou au report de dimensions. Le couteau
est par ailleurs d’une belle facture :
côtes en cerf, tire-bouchon fraisé,
mitres ornées de filets.
Le couteau de
scribe à la mode thiernoise Les
couteaux1
de la photo numéro 4 ne posent pas, non plus, de
problèmes
de qualification. Ils contiennent le parfait nécessaire du
petit scribe.
« Petit scribe » car il faut
être au moins
« lilliputien »
pour pouvoir se servir du crayon ou du porte-plume qui se logent dans
les côtes
en tôle emboutie. Les 5 centimètres de long et les
2 millimètres de diamètre du
porte-plume en rendent la tenue en main bien délicate.
L’un des deux est à la
marque du « GEOGRAPHE [3]».
Il n’est pas certain que
ces outils d’écriture puissent servir au dit
géographe lors de ses enquêtes de
terrain.
Le petit
dépanneur Avec le couteau1 de la photo numéro 5, on entre dans la grande famille des « tools » en tout genre. Cette petite clef de type clef anglaise n’est pas à molette mais à crémaillère et fait penser, dans le principe de serrage, aux très grands serre-joints des menuisiers d’autrefois.
Les 8
pièces du couteau1
de la photo numéro 6 en font déjà un
« multi-tools » : jeu de
4 clefs plates, molette de vitrier,
tournevis. Réservé au travail sur
modèle réduit cependant. Pour la grosse
mécanique, il faudra chercher ailleurs. |
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Héritage
du paléolithique
Les 2 couteaux de la photo numéro 10, outre les lames classiques, sont tous les deux munis d’un briquet. Pas le briquet moderne à gaz mais le briquet « à battre le briquet ». Cette lame très épaisse et non tranchante, mobile sur le couteau « os de mouton », fixe sur le Victorinox, sert à tirer des étincelles d’un morceau de silex lesquelles portent à incandescence un bout d’amadou. Cet amadou incandescent suffit à communiquer le feu à des feuilles ou de l’herbe sèche. Et ça marche très bien ! A garder en réserve en attendant la prochaine pénurie totale de pétrole et de gaz naturel ou pour les amateurs de survie en milieu hostile, où, pour le coup, ce n’est plus du tout un gadget.
Le
Victorinox appartient à une petite série
réalisée à la demande du grand
collectionneur que fut Horst Brunner[4].
Un couteau
chez les marsupiaux
Le couteau1
numéro 11 abrite dans ses côtes creuses en fibre
rouge
4 petits couteaux au manche
en laiton, comme
le kangourou qui abrite dans sa poche ventrale ses petits dont le
développement
n’est pas encore parvenu à son terme.
Nos 4
petits couteaux, quand ils seront grands, abandonneront
peut-être leur livrée
de laiton pour revêtir la tenue rouge de leur maman.
A moins que
ce soit le couteau des familles nombreuses, celui du papa et ceux des
quatre
enfants.
Tout et
n’importe quoi
Les
couteaux de la photo numéro 12 présentent une
caractéristique commune : ce
sont tous des canifs à très petit prix
destinés principalement aux enfants.
« JE
COUPE JE SIFFLE » comme
le proclame
la devise marquée au fer rouge dans la côte
plastique du couteau du haut, le
tout sous l’autorité du bâton blanc et
du sifflet d’un policier en tenue. Et
effectivement il y a un petit sifflet dans la queue de poisson qui
termine le
couteau.
Le couteau
du dessous porte sur le dos une coulisse qui fait sortir ou rentrer un
crayon,
avec un système de blocage de la position ressemblant
à un verrou de porte. Le
couteau sert de manche au crayon et en facilite la tenue.
Les 2
couteaux qui suivent sont faits pour ceux qui souffrent
d’addiction au jeu.
Dans la côte transparente du couteau bleu, 4 billes
d’acier doivent être
placées dans 4 trous ménagés dans la
platine.
La
côte
transparente du couteau jaune contient un jeu de 421.
Secouez ! C’est
gagné !
Quant au
dernier, c’est l’anti-sèche de
l’écolier, le canif à tailler les
crayons laissé
négligemment au fond de la trousse et qui permet de
résoudre les pannes de
mémoire.
Le multi-tools
de toilette
Pour le
dernier couteau présenté (photo 13), peut-on
parler de gadget ? Une chose
au moins est sûre, on est en présence
d’un couteau de grande qualité :
« poli glace »,
écaille, insert en argent, tire-bouchon fraisé.
Pour
le reste, on a une petite panoplie d’instruments de
toilettes : ciseaux,
lime à ongles sur le dos, cure-dents, pince à
épiler faisant également office
de cure oreille, tire-bouchon à bouteilles de parfum, le
tout entre 7,5 cm
d’écaille de tortue.
La petite
loupe, quant à elle, sert peut-être à
voir les épines à retirer à
l’aide de la
toute petite pince à épiler. Le
diamètre de cette loupe est en tout cas trop
petit pour qu’elle puisse servir à la lecture.
Alors,
gadgets ou
utiles ? Le point de vue varie
selon les utilisateurs, en fait. Ce qui peut paraître
inutile, voire farfelu
pour l’un peut très bien être utile ou
présenter de l’intérêt pour
l’autre.
Tous ces couteaux, modestes, traduisent par contre la
capacité d’innovation des
couteliers et leur inventivité commerciale. Et tous ces
couteaux ont un point
commun : ce sont tous des couteaux, car ils ont tous une ou
plusieurs
lames, ce n’est pas monsieur de Lapalisse qui nous
contredira.
Michel
Fervel
[1]
Collections du musée de la
coutellerie de Thiers. Avec nos remerciements.
[2]
A défaut, un lecteur
éclairé ferait l’affaire et nous lui en
serions reconnaissants.
[3]
Marque déposée en 1888 par
Ménière Soannen et continuée
à partir de 1933 par France-Exportation, très
gros
producteur de couteaux en tôle emboutie.